Dans l'article précédent, je vous parlais de la façon dont ma pratique du Yoga a évolué durant le confinement, notamment sur le plan physique en allant vers davantage de décomposition et de profondeur. J'écrivais notamment (#autocitation #lemelon) : "Un même mouvement n'a pas la même efficacité selon que l'on comprend (ou non) les muscles que l'on mobilise, c'est à dire que l'on est capable de les visualiser et ressentir leur engagement".
C'est ce sujet que j'aimerais aborder avec vous aujourd'hui.
La pratique du Yoga vise à développer la connaissance de soi, au sens large. Les postures nous fournissent un cadre pour apprendre à nous connaitre sur le plan physique ("ah tiens je ne suis ABSOLUMENT pas souple des ischio-jambiers, c'est intéressant") et mental ("la prof dit de ne pas forcer mais je m'en fiche C'EST MOI OU CETTE POSTURE"). J'ai donné deux exemples entre parenthèses mais il est évident que les deux plans, physique et mental, sont très vastes et pourraient être eux-mêmes sous-divisés en catégories (émotionnel, énergétique, etc.).
Je vais rester ici sur le plan physique. La réalisation de postures s'appuie sur un placement et un engagement musculaire spécifiques et appropriés. Pour ceux qui viennent à mes cours, vous m'entendez très souvent décliner l'intention dans la posture : "on maintient l'ouverture de hanches", "on appuie contre la cuisse pour approfondir la torsion du buste, "on pousse les orteils dans le sol". Ces indications vous donnent des pistes sur les muscles que vous devez engagez. Est-ce que c'est suffisant ? Pas vraiment. Il y a une différence entre mobiliser l'ensemble de sa voute plantaire en l'enfonçant dans le sol et engager uniquement le gros orteil. La deuxième consigne est plus fine et vous demande d'isoler une partie très spécifique de votre corps. Je trouve ce niveau de finesse très intéressant. Pour y parvenir, encore faut-il pouvoir développer un niveau de conscience qui soit suffisamment précis. Comment ? C'est tout le sujet et accrochez vos ceintures car il est passionnant.

Enfin, le sujet est passionnant mais il pourrait vite vous endormir sur vos écrans si je l'abordais sous l'angle théorique. Donc je vais recourir à un exemple pour illustrer mon propos. Il y a quelques mois, je suis allée chez une kiné pour rééquilibrer ma posture. La situation : mon épaule droite était significativement plus haute que la gauche et, surtout, elle était rentrée vers l'avant (à l'inverse de l'épaule gauche qui avait un positionnement normal). Attention, avant que vous commenciez à vous examiner sous toutes les coutures, sachez qu'aucun corps n'a une symétrie parfaite. Il est courant d'avoir l'épaule de notre côté fort (je suis droitière donc mon épaule droite) un peu plus haute que celle que nous mobilisons moins au quotidien. Dans mon cas, c'était devenu problématique puisque j'avais un énorme noeud au niveau du trapèze droit qui me déclenchait des migraines chroniques et réduisait la mobilité de ma nuque, mon omoplate et mon épaule elle-même. L'épaule étant rentrée à l'avant, j'avais également renoué avec des douleurs tendineuses sur la tête d'épaule.
Je n'irais pas faire la liste de tout ce qui a participé à un tel niveau de contraction puisque 1) ce n'est pas intéressant et 2) je n'en sais rien. Je devine quelques causes mais je suis loin de tout comprendre et maitriser. En revanche, je sais que ma pratique physique de Yoga comporte beaucoup d'exercices avec appuis mains + gainage (planche, pompes, équilibres sur les mains, etc). D'où une chaine pectorale contractée qui a tendance à faire rentrer les épaules vers l'avant. Le protocole que j'ai suivi avec cette kiné s'est appuyé sur un renforcement de la musculature de mon dos pour permettre à ces muscles de prendre le relais sur certains mouvements et éviter que ma chaine pectorale fasse tout le boulot toute seule et que je finisse recroquevillée comme une vieille pomme. La kiné m'a montré des mouvements à exécuter tous les jours.
Au risque de paraître présomptueuse, je vais vous avouer que j'estime avoir une conscience corporelle assez bonne. Je comprends plutôt bien les chaines musculaires qu'on cherche à activer et je retranscris facilement des consignes qui sont données dans le cadre d'une activité physique. Pourtant, j'ai été incroyablement mauvaise sur les mouvements que la kiné m'a demandé de faire. Pourquoi ? Je n'avais aucune sensation. Je vous parle de mouvements ridiculeusement simples comme serrer mon omoplate droit. Immanquablement, lorsque je tendais mon bras devant puis le ramenait vers l'arrière, mon coude passait bien à l'arrière mais ma tête d'épaule ne bougeait pas d'un iota. La kiné m'a donné toutes les consignes possibles et imaginables. Nada. Lorsque je fermais les yeux et faisais le mouvement, je ne savais absolument pas si je le faisais correctement ou non. Ce qui est extrêmement frustrant. C'est comme vous enfermer dans le noir et vous demander de trouver le tshirt rouge qui est caché (c'est impossible). J'ai cru que j'étais neuneu.
Pourquoi est-ce que je n'arrivais pas à exécuter correctement ces mouvements ? Parce que je n'avais pas de sensations. Je ne parvenais pas à sentir les muscles que je mobilisais (ou devais mobiliser) dans lesdits mouvements.
Pourquoi est-ce que je n'avais pas de sensations ? Parce que mon corps n'avait jamais recruté ces muscles de cette façon. Je n'avais donc aucune mémoire musculaire associée. L'indication "gainez vos jambes" ne vous parlera peut-être pas si vous ne l'avez jamais fait. En revanche, si je vous dis "serrez vos deux jambes l'une contre l'autre", vous saurez le faire. La sensation que vous aurez s'imprimera dans la mémoire de votre corps et vous serez capable ensuite de la reproduire. C'est un peu la même chose ici.
DU COUP, j'ai tout (re)pris de zéro. Première chose : me construire une mémoire musculaire dans la région visée. Comment ? En faisant les exercices devant un miroir. Ne pouvant pas partir de mes sensations internes, je me suis servie de mon reflet pour me corriger. Et j'ai fait ça jusqu'à ce que mon corps associe petit à petit le muscle avec la sensation. Comme je vous le disais la semaine dernière : c'est long, fastidieux (ça demande une sacrée concentration) et c'est assez ennuyeux. Mais c'est essentiel. Car, en faisant cela, qu'est ce que l'on fait VRAIMENT ? On entraine le cerveau, pardi ! C'est là que ça se passe d'abord. Pour que votre corps recrute un muscle d'une façon spécifique, encore faut-il qu'il ait les connexions nerveuses pour le faire. S'il ne l'a jamais fait, ces connexions nerveuses dédiées n'existent pas et il faut donc les créer. ET C'EST LONG. Mon osthéopathe m'a dit que ça pouvait prendre jusqu'à 6 mois, certains kinés m'ont dit jusqu'à 2 ans. Je sais qu'il y a des kinés parmi vous, n'hésitez pas à ajouter votre grain de sel. Ce que j'ai retenu, c'est que c'est long. Me concernant, il m'aura fallu près de DEUX MOIS d'exercices quasi quotidiens pour que je commence à me dire "ah oui ok je crois que je commence à entrevoir l'idée du machin".
C'est ici qu'entre en jeu le deuxième élément que je trouve fascinant (oui, cette newsletter est longue) : la visualisation. Comme je vous le disais juste avant, j'ai trouvé ces exercices fastidieux car ils nécessitent d'être extrêmement concentré sur la zone que l'on souhaite recruter. A chaque mouvement, j'étais donc concentrée à fond sur mon omoplate, la contraction, l'épaule basse, blablabla. Cette phase est essentielle dans la construction des connexions nerveuses. Enfin, selon moi, elle est essentielle. Je ne suis pas spécialiste mais, si tu contractes ton omoplate en visualisant ton pied, il est probable que les connexions nerveuses mettent deux fois plus de temps à se faire convenablement... (encore une fois, je ne suis pas spécialiste)(vous pensez que j'aurais du visualiser mon pied ?). D'ailleurs, cette idée est corroborée par une étude récente qui a montré que la visualisation mentale permettrait de maintenir sa force musculaire. Je vous la fais courte (tout le protocole est détaillé dans l'article pour les curieux) : 44 personnes test divisées en deux groupes : (i) 19 personnes plâtrées au poignet et (ii) 15 personnes témoins. Parmi les 19 personnes plâtrées, 14 ont suivi un protocole de visualisation mentale où ils devaient s'imaginer en train de contracter les muscles de l'avant bras. Les autres, pas de protocole, nada. Résultats ? Fonte musculaire pour tout le monde MAIS de 24% uniquement pour ceux qui ont fait de la visualisation mentale contre 45% pour ceux qui ont fixé le plafond. C'EST FOU, NON ? Moi, je trouve ça complètement fou.
Je n'ai pas de conclusion, en revanche je peux vous partager quelques notions autour de tout ceci qui me guident dans ma pratique :
1/ Une posture mal exécutée n'a pas de valeur en-dehors de sa fonction d'apprentissage. Il y a de nombreuses postures que je sais mal exécuter mais c'est parce que je n'ai pas encore compris sur quels engagements elles s'appuient (ou je ne parviens pas encore à mobiliser ces engagements dans mon corps). Je considère que ce n'est pas grave car 1/ je ne suis pas en train de me blesser, 2/ c'est en faisant qu'on apprend.
2/ Qualité > Quantité. Exemple basique : je préfère 5 pompes exécutées parfaitement que 50 avec les 45 dernières réalisées dans une position de corps dégradée.
3/ Qualité > Potentiel impressionnant. Les mouvements que j'ai faits pour muscler mon dos ne sont pas instagrammables, mais ils sont efficaces. Je cherche moins à impressionner qu'à travailler intelligemment et si j'ai l'air ridicule avec mon élastique fixé sur ma porte de salle de bain à faire vingt fois le même mouvement d'aller retour, tant pis. C'est ce qui me rend solide.
4/ Compréhension > Amplitude. Dans chaque posture, j'essaie de partir de l'intention première. A quoi sert cette posture ? Ouvrir les hanches ? Ok, je mobilise l'abducteur. Allonger la colonne ? Ok, je gaine. Je tourne autour de la posture, je l'examine, je joue avec, j'essaie petit à petit de la percer à jour. Encore une fois, la posture est un outil pour apprendre à mieux connaitre mon corps, à mieux me connaitre tout court. Et si le résultat externe, c'est de descendre deux fois moins bas que ma voisine, tant pis (elle ne comprend sûrement rien à ce qu'elle fait, elle)(JE PLAISANTE).
4/ Je ne peux pas tout bien faire. C'est triste, mais c'est c'est comme ça. Alors, à nouveau, je cherche l'intention première. J'essaie d'être dans la justesse et de me foutre un peu la paix. Est-ce que je peux vous assurer avoir compris certaines postures ? Je ne sais pas. Disons qu'il y a des postures que je crois avoir comprises.
Je n'ai pas écrit cette newsletter pour vous inciter à avoir la même démarche que moi (même si c'est la meilleure, de toute évidence)(oh, vous n'avez pas d'humour) mais, encore une fois, pour vous inviter, peut-être, à regarder votre pratique sous un autre angle.
Voilà.
Pour ceux que le sujet intéresse, voici un peu de lecture : "Efficience du travail mental sur le développement et le recouvrement des capacités motrices : force musculaire et imagerie motrice" de Florent Lebon (thèse).